• La démocratie réduite à l’image

    Après la réduction du mandat à cinq ans et la bipolarisation à outrance, le glissement de notre élection présidentielle vers le modèle américain s'identifie dorénavant par le recours forcené aux techniques marketing. Autopsie d'une démocratie passée à la moulinette publicitaire. Il y a d'abord un constat. Le représentant du parti au pouvoir, sanctionné à toutes les élections intermédiaires depuis 5 ans, a pourtant décroché la timbale. Personnage central d'un gouvernement honnis, Nicolas Sarkozy est bizarrement apparu durant la campagne, comme étranger à ce bilan calamiteux. Et quand Chirac redorait son blason en s'opposant à la guerre états-unienne en Irak, lui, arborait l'uniforme d'un collaborateur plus docile, considéré aujourd'hui comme «le nouveau meilleur ami de Bush en Europe.» Mais qu'importe. L'opinion publique est changeante. Et Nicolas Sarkozy sait en jouer. Lui qui s'autodéfinit comme «un homme pressé» (voir ci-dessous), reste l'invité permanent du journal de 20 heures, se construisant de fait l'image de quelqu'un qui agit, qui avance et qui ne ménage pas sa peine. Evidemment, parmi ceux qui se disent satisfaits de lui (65% des Français, soi-disant) combien peuvent parler de son action réelle, de son programme, ou des intérêts qu'il défend ?... Mais tout ça n'a finalement que peu importance. Le choix du bulletin de vote est d'abord une question d'image. Ainsi, 2 ans après le référendum sur le traité constitutionnel, à force de propagande radio-télévisuelle, quelques électeurs «nonistes» ne conviennent-ils pas «qu'on n'aurait pas dû demander aux Français de se prononcer sur ce texte. De toute façon, on ne l'a pas lu...» C'est la leçon à retenir : le peuple peut exprimer son sentiment, mais pas discuter de politique puisque ça lui est inaccessible. Dans le même esprit Pascal Perrineau, dirigeant du centre de recherches politiques de Sciences Po (excusez du peu...), pouvait, juste avant le 2nd tour, se lâcher en toute impunité sur le plateau de France 5 : «Quand les gens ont voté pour Léon Blum, personne ne l'avait jamais vu. Là au moins, grâce aux médias, tout le monde peut se faire une impression sur les candidats. C'est quand même un progrès pour la démocratie.» Tout frais rallié à Sarkozy, le communiquant Jacques Ségala enfonce le clou il y a quelques jours sur France 3, à propos cette fois de «son ami» Kouchner. «Je le con-nais très bien, intimement, depuis très longtemps, et si l'on peut m'accuser, moi, de retourner ma veste, lui ne peut être attaqué. Avec tout ce qu'il a fait, au Kosovo ou pour les droits de l'Homme...» Bien plus averti des méthodes de séduction publicitaire que de ces affaires qui lui restent largement étrangères, Ségala confine lui aussi son propos à l'image que renvoie le «french doctor», éludant que le vernis humanitaire cache ici la diffusion du dogme atlantiste. Oublié le passif kosovar : les bombardements de l'OTAN à l'uranium appauvri et l'argent distribué aux gangs mafieux sous l'égide de l'ONU. Oublié aussi l'épisode birman où Bernard Kouchner s'autorisa, pour 25.000 euros et après deux petits jours d'enquête à nettoyer la façade de Total, accusé de travail forcé... Avec Kouchner, ce ne sont ni la gauche ni les droits de l'Homme qui prennent le pouvoir, simplement leurs oripeaux. Grâce au rouleau compresseur du paraître et de l'apparaître, Nicolas Sarkozy fait aujourd'hui figure de rassembleur. Comme hier François Bayrou d'alternative. Facile, dans cette démocratie de l'image, de taire les idées progressistes, comme celles du PCF, par ailleurs réduit à l'adjectif «communiste», «tellement ringard», dixit le peu éclairant Michel Polac. De ce jeu qui fait passer un conservateur pour un révolutionnaire et le retour à la société du XIXè pour la modernité la plus tendance, les projets de gauche sont prisonniers. «La présidentielle est un moyen de faire connaître nos idées», avoue Lutte Ouvrière... Quant aux prochaines législatives, elles détermineront le niveau de financement publique de chacun, au nombre de voix obtenues. Ce qui pousse un peu plus à la désunion et oblige de facto à cautionner un système et un mode électif, dont on peut pourtant regretter le manque de substance. Pendant ce temps là, la machine médiatique continue à tourner à pleins tubes. Avec un Sarkozy qui n'en finit pas de bronzer sous les lumières des caméras, dévorant tout l'espace politique. Car une image en béton n'est rien si on ne l'entretient pas au jour le jour. Peu importe ce qu'on fait, encore faut-il le faire savoir. Se voyant trottiner aux côtés de ce président aux airs d'acteur américain, les ministres doivent bien, de temps à autre, dans un éclair de lucidité, se trouver pathétiques. Mais ils jouent le jeu, en espérant seulement ne pas être le prochain fusible. La partie ne fait que commencer. La chose politique est devenue un match de foot, où personne ne s'étonne que le vainqueur de la finale ait pu s'élever à ce niveau de compétition en ayant perdu toutes les manches préliminaires. Après tout, les joueurs du Milan de Berlusconi viennent bien de réussir pareille performance. Et eux n'avaient pas l'avantage d'avoir été démocratiquement élus...

  • Commentaires

    1
    rasmussen
    Jeudi 2 Août 2007 à 13:42
    mise en page
    et les sauts de ligne, c'est trop cher ?
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